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une vie de tto
6 juin 2019

L'enfer débarque

L'enfer débarqueOn célèbre abondamment et c'est bien normal ... on refait l'Histoire et c'est humain. Il a 75 ans, le Débarquement eût lieu et c'est, au delà de l'acte héroïque de ceux qui se sacrifièrent, une sorte de tournant dans un conflit mondial vis à vis duquel les choses commençaient déjà à tourner mal pour l'Allemagne nazie.

Hollywood a beaucoup réimaginé le Débarquement, le soldat Ryan comme "Le jour le plus long" ont imprimé dans l'inconscient collectif une mythologie que les historiens aiment toujours corriger un peu, rabotant le vernis grandiloquent au profit d'une exactitude plus fidèle. N'empêche et sans que cela ne retire à la bravoure de ceux qui se sont jetés dans l'enfer ce matin du 6 juin 1944, j'ai toujours été fasciné par l'image que je viens d'utiliser en vignette.

Que ressent-on quand s'ouvre la porte de l'enfer ? Qu'éprouve-t-on quand on a face à soi ce mur obscur duquel sortent des rafales tuant aveuglément ceux qui sont à côté ? Ce que traduisent les récits hollywoodiens est magnifié pour les besoins du film mais doivent correspondre à cette réalité tragique, cette progression vers la mort qui aspire ceux qui, espérons-le, n'en avaient presque plus conscience.

Je suis particulièrement impressionné par cette image, qui est authentique. Elle vient avec d'autres que tu trouveras plus bas et qui témoignent de l'enfer [que l'on résume souvent comme une boucherie, un peu abusivement sans minorer les sacrifices humains consentis pour parvenir à faire progresser la liberté contre le nazisme].

On sait désormais que le Débarquement a failli ne pas se faire. On sait que les plus lourdes pertes ne furent pas parmi les débarqués sur la plage mais chez les parachutistes qui se firent tirer comme des lapins par les batteries nazies. Le bilan est désormais connu : 3.400 américains furent tués ou ont disparu, 3.000 britanniques, 335 canadiens mais aussi 4.000 à 9.000 allemands. On doit rappeler que les trois cinquièmes des pertes alliées se sont produites sur la plage Omaha mais aussi que les bombardements alliés venus en soutien du Débarquement ont aussi causé la mort de 2.500 civils. Il faut ramener ces chiffres à ceux des 5.000 navires, 10.000 avions et 155.000 hommes engagés. 

On doit également rappeler que tout s'est joué à pas grand chose bien que l'opération Fortitude berna copieusement les nazis qui croyaient dur comme fer que le Débarquement aurait lieu à Calais. La guerre de désinformation et d'intoxication s'est également doublée de prouesses incroyables au sujet des prévisions météorologiques qui permirent d'isoler le seul créneau possible pour débarquer [grâce à la science de James Martin Stagg, conseiller de l'état-major allié qui décrypta les informations venues du Spitzberg avec sa station météo à laquelle Hitler n'avait pas accès], au sujet de la stratégie de renseignement qui avait permis à Turing de décrypter le code allemand [on ne lui rendit hommage que plus tard parce qu'il était homosexuel] et qui avait motivé Eisenhower à mettre des comanches en première ligne parce que leur langage ne pouvait être déchiffré par les nazis qui n'avaient pas d'interprêtes en la matière.

Quand on voit les clichés [notamment celui ci-contre] et qu'on envisage que les conditions étaient propices, on imagine que l'enfer aurait pu être bien pire. Hollywood a formaté l'image que l'on a eu du Débarquement mais on a passé sous silence plusieurs choses dont l'attitude d'une partie du corps expéditionnaire américain envers les femmes françaises. Certes, les GI furent respectueux avec les populations qu'ils étaient venus libérer. Mais une minorité d'entre eux crurent trop aux préjugés en cours aux Etats-Unis sur la France et les français. Pour une partie du commandement, la France était le pays de la bonne vie et du sexe libre ... la prostitution était légale et, plus généralement, les femmes françaises avaient la réputation injustifiée de céder facilement aux avances des vainqueurs. S'il y eût beaucoup de liaisons entre soldats et jeunes françaises sans qu'il n'y ait à redire, les agressions sexuelles furent fréquentes et les plaintes des autorités civiles françaises nombreuses. A 152 reprises, il fallut répondre à des accusations de viol formulées par des françaises à l'encontre de GI. D'ailleurs et consécutivement, plusieurs dizaines de GI condamnés par la justice militaire furent pendus. Nous sommes en 1944 et l'armée est ségrégationniste : la grande majorité des condamnations pour viol frappèrent des soldats afro-américains, alors qu'ils représentaient à peine 10% des effectifs. Pour le commandement, cette sur-représentation confortait un préjugé : les Noirs avaient une sexualité exubérante qui les conduisait au crime. Les études de cas montrent qu'en réalité les tribunaux militaires américains avaient une fâcheuse tendance à sévir surtout contre les soldats noirs et à traiter avec beaucoup plus de légèreté les mêmes faits quand ils étaient imputés à des soldats blancs : les condamnations des soldats noirs étaient prononcées sans preuves, sur la foi de témoignages contestables. On notera qu'il n'y avait aucun afro-américain à débarquer le 6 juin 1944.

Cela étant, les images sont bouleversantes et j'ai longtemps été tourmenté à l'idée de me dire que j'aurais pu être dans l'un de ces bateaux pour débarquer et me faire faucher. Combien d'hommes valeureux a-t-on sacrifié ? Combien d'artistes en puissance sont morts sur ces plages ? Quels talents a-t-on gâché ? C'est l'aberration de la guerre, c'est l'occasion de dire merci à ceux qui ont donné leur vie pour permettre à d'autres de vivre la leur, sans que tous ne soient reconnaissants. "Thank you" a lancé Elizabeth II hier [une première mondiale, puisque la Reine ne remercie jamais], oui vraiment merci.

On doit aller à Colleville pour envisager la force de ce qui a été fait et qui a failli tourner au chaos. On doit se rendre compte de l'enfer que cela a pu être en regardant ces images colorisées mais authentiques.

  

On doit se souvenir et pas seulement le 6 juin de chaque année ...

C'est ce contact direct avec l'enfer où se conjuguent l'adversité des éléments et de l'ennemi qui rend palpable l'enfer absolu qu'a pu être le Débarquement du 6 juin 1944, le jour où l'opération Overlord a ouvert un nouveau front à l'ouest, comme Staline l'avait réclamé l'hiver précédent. 

On doit aussi être sidéré de savoir qu'au mois de mai 1944, les services de sécurité britanniques furent pris de panique parce qu'ils venaient de constater que les mots croisés du quotidien conservateur The Daily Telegraph avaient donné depuis quelques jours, comme solution à des définitions, les mots de "Omaha", "Overlord", "Neptune" ou "Sword". Autrement dit, les noms de code attribués aux plages normandes ou bien aux opérations destinées à établir une tête de pont en France, toutes choses évidemment ultrasecrètes. 

L'auteur des mots croisés, un professeur respectable et connu du public, fut interrogé. Il plaida la coïncidence. Depuis la guerre, des amateurs de statistiques ont calculé que la probabilité de voir apparaître dans ces grilles les quatre ou cinq mots en question par le seul jeu du hasard était inférieure à une chance sur plusieurs millions.

Aujourd'hui encore le mystère reste entier. On suppose que l'auteur des grilles s'était adressé à ses étudiants pour trouver des mots et des définitions nouvelles. Ces étudiants fréquentaient des militaires stationnés en Grande-Bretagne : ils auraient entendu les noms de code au cours de conversations sans savoir ce qu'ils désignaient. Mais c'est une hypothèse...

Tto, fasciné

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