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une vie de tto
28 avril 2019

"Tu es un garçon bien" ... parait-il ...

2019 - BEST OF

Il y a dix ans, je publiais cela [ici et ici] ... dix ans plus tard, je me souviens et cela m'émeut toujours autant.


Garé quelques minutes auparavant [un exploit en plein XXème, vu le quartier en plus], je me suis dit que j’avais besoin de marcher un peu nonobstant le fait que je n’ai plus de jambes. Marcher pour m’épuiser un peu plus, marcher pour découvrir ce quartier que je ne connais pas, marcher pour rassembler toutes ces idées histoire de maintenir un peu de cohérence en apparence.

J’arrive devant chez lui, un petit coup de code, j’entre. Après une entrée couverte assez sombre, je pénètre dans un jardin et là, je décroche mon téléphone. Je l’appelle. Il attendait mon appel, il m’appelle tout de suite par mon prénom. Il vient à ma rencontre …

Je suis bien habillé [comme j’essaye de l’être le plus souvent possible], il parait devant moi … je n’étais pas si loin !

Nous montons chez lui … c’est la première fois que je viens ici. Tout cela lui ressemble exactement, c’est ce que je lui dis d’emblée. Il s’assied et m’invite à faire de même. Je choisis un fauteuil qui grince un peu … Nous parlons de travail, il me demande comment ça va. Je lui fais part de mes frustrations en la matière mais, avec la résignation conjoncturelle liée à la situation économique abominable, je fais contre mauvaise fortune bon cœur …

- Bon alors, Tto, tu voulais venir me parler de quelque chose non ?
- Oui … Mais permettez-moi d’introduire mon propos en vous précisant que si je suis là ce soir, c’est que je ne sais pas vraiment pourquoi. Je sais juste que vous avez été celui qui m’a sauvé la vie il y a 24 ans, que j’ai la plus profonde admiration pour vous, que je ne serai pas là si vous n’aviez pas été là. Donc, tout ça pour vous dire que si je suis là ce soir, c’est que ça va vraiment mal.
- Oui, je me doute … je l’ai lu dans tes yeux la dernière fois chez tes parents …

Oui, ça va mal et c’est précisément parce que cela va très mal que, déboussolé, je suis revenu le voir ce soir là. Cruel retour vers le futur pour moi, abominable impression qui me pulvérise parce qu’elle me fait revivre le pire avec les saveurs qui l’accompagne. Pourtant, c’est mon chemin de croix. Oui, je viens le voir ce soir parce que j’en ai besoin, parce que je suis plus fébrile et fragile que le garçon de 9 ans qui venait se réfugier alors dans son bureau. Oui, là, il y a urgence ! Il est prêtre, j’adore sa voix reposante, son écoute est immense. Et moi, je suis à deux doigts de craquer …

- Alors, dis moi …
- Ben que vous dire que vous sachiez déjà puisque ma mère vous a expliqué quelques choses …
- J’ai besoin de l’entendre de ta part. Je te connais bien tu sais. Et si tu es là ce soir, devant moi, c’est qu’il n’est plus temps d’esquiver.
- Bon alors … c’est, excusez-moi du terme, le bordel dans ma vie.
- …
- Je suis paumé, tiraillé entre des envies contradictoires dont j’ai coutume de dire, pour la formule, que mes désirs font désordre. Tout ce qui m’arrive n’est pas bien grave puisqu’il ne s’agit que de mon petit cœur en définitive. Mais moi qui ait toujours voulu me protéger à ce niveau là en me surprotégeant quitte à vivre sur la retenue, je me suis piégé. Je vis à 150 km/h depuis des années et là … je suis fatigué parce que la machine s’enraye, parce que tout se complique, parce que rien ne fonctionne comme cela devrait, parce que je subis tout.

S’en est suivie une discussion à bâtons rompus où j’ai tout déballé même ce qu’un prêtre n’est pas, en règle générale, en mesure d’écouter sereinement. Tout … sans compromis.

Comme il y a 24 ans [34 ans en 2019], il a écouté, j’ai pleuré, il a tenté de trouver une solution là où il n’y en a pas, j’ai expliqué avec froideur comment je regardais ma déplorable situation. Je m’attendais à ce que ce fut difficile, je n’ai pas été déçu.

A ce jour, il est le seul qui sait exactement par où je suis passé, quels chemins j’ai emprunté et surtout à quel point j’en ai été altéré définitivement, irrévocablement, inexorablement. Et c’est son regard que je suis venu chercher finalement. C’est son regard que j’ai croisé, empli de sa bienveillance, de sa volonté de m’aider.

Qu’en est-il ressorti de tout ça ?
- Tto, tu sais je vais te dire ce que je pense de tout ça …
- …
- Je pense que tu es un garçon très généreux qui a besoin de partager et là, tu te trouves face à une situation où tu voudrais tellement sans y parvenir que cela te fait sombrer
- Je pense que ce n’est pas exact. J’ai, certes, besoin de partager mais j’ai surtout besoin de donner
- Appelle cela comme tu le veux. C’est finalement ta paternité à toi … Tu m’as expliqué tout à l’heure que tu t’es posé la question il y a quelques années, tu as trouvé une réponse et par réaction, tu t’es jeté dans quelque chose pour pallier. Mais ta paternité, c’est une forme de don tu sais … Que crois-tu que je fasse ? Un curé, ça n’a pas vocation à être père et pourtant … je suis fier de ce que je fais tous les jours en donnant, en construisant à force d’écoute et de don. Chaque réussite et chaque progrès sont mes enfants à moi …
- Oui, probablement que pour moi c’est pareil …
- Je le pense. Mais tu veux aussi recevoir, ce qui est humain. Sauf que tu attends de recevoir d’un côté et refusant ce qu’un autre côté te propose … 
- C’est ça …
- Oui mais je sais aussi que tu es un garçon bourré de qualités dont celle de ne jamais lâcher, d’être lucide et d’avoir faim de vie. Je sais aussi que tu ne me décevras pas.

Nous sommes allés manger une pizza, nous sommes remontés chez lui. Il m’a parlé d’un livre et m’a raccompagné jusqu’à ma voiture. En me congédiant, j’ai vu dans ses yeux toute la tendresse d’un père pour son « fils ». Pas d’embrassade mais ces jolies paroles que furent « Prends bien soin de toi et tiens moi au courant. Accroche-toi, tu vas y arriver. Je pense beaucoup à toi. »

En pleurs, j’ai appuyé sur le champignon …

Tto, qui a passé l’une des soirées les plus importantes de sa vie

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