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une vie de tto
5 décembre 2012

Pouvoir le vouloir

clln_projetcouv

5 dec

Ce texte est une contribution à l'opération "C'est la lutte nuptiale"

Quel déluge !!! Dans cette grande pièce rassemblant des souvenirs divers et variés, nous nous abritons de ce fichu temps d’automne qui mêle pluie, gros et gris nuages ainsi que feuilles mortes impuissantes à contrer leur destin … celui de valser au gré d’un vent tourbillonnant.

Nous avons préféré renoncer à sortir ou braver les éléments, le refuge d’une pièce chaude étant bien plus accueillant, surtout avec ces arpèges qui poursuivent leur long mouvement, imperturbable … Et puis, comme cela arrive parfois, un instant de grâce s’impose. Zolimari n’est pas loin, il chante toujours aussi faux, cela fait rire ma petite nièce … elle qui a choisi de partir en vacances avec ses deux tontons pendant quelques jours. Nous sommes en novembre, elle a 14 ans, moi 50 depuis peu et elle m’apostrophe tandis que je regarde, bercé par la musique de Bellini, le feu de la cheminée qui aura, jusqu’au bout de ma vie, toujours la vertu d’autant m’hypnotiser et de me transporter.

- Dis Ttoton, j’ai trouvé ce bouquin là haut …
- Quel bouquin Ninette ?

Je tourne la tête et je la vois tenir un livre dont je reconnais la couverture … c'est mon livre, celui que j’ai publié il y a plus de dix ans maintenant … Elle poursuit.
- Papa a raison : y a des textes qui secouent quand même …
- Ah ?
- Oui, j'ai lu ce que tu as écrit hier soir ... des choses super dures je trouve et en même temps, tes mots qui claquent donnent une idée ...
- Une idée de ?
- ... de ce dont je n'avais pas forcément conscience.
- Tu parles de quoi au juste Ninette ?
- Bah … de ce que tu as écrit au sujet du "mariage pour tous". C'est terrible de lire ça ... Ça a donc été si dur ?
- Tu sais Ninette … c’est plus facile à dire aujourd’hui parce qu’on est en 2025, que les gens se sont acclimatés, que le torrent de boue dont je me souviens avoir parlé à ce moment là s’est calmé voire même s’est tari définitivement … mais j’espère que tu seras épargnée de n'avoir jamais à vivre ce sentiment d’intolérance dirigé contre toi.
- J’espère … Mais, je peux te poser une question personnelle ?
- Bien sur
- C’était si important de se marier ?
- Ah [soupirs] ... je ne suis pas sur que c’était important de se marier. C’était important de pouvoir le faire. Et c'est là tout la nuance. Comme tu as du le comprendre, j’ai toujours été choqué qu’on m’interdise d’avoir autant de droits que n’importe qui au motif que moi je vis avec ton tonton et pas avec une tata. Tu sais, c’est profondément blessant d’entendre des choses ignobles, que l'on t'assimile à un pédophile parce que tu vis avec un homme, d'être semblable à une bête selon certains, un sous-homme même, un polygame aussi, un malade mental et quand ce sont des élus du peuple qui proféraient ça au motif spécieux d’une conscience qui les arrangeait bien, tu te projettes un peu et tu te dis que les humanistes ne sont pas forcément ceux qui s’autoproclament. Après mariage ou pas, il se trouve que ton tonton et moi en avions envie parce qu’on s’aime et qu’on ne voyait pas pourquoi on se serait privés de nous protéger l’un et l’autre, de voir reconnue notre union devant la République et tout le reste …
- C’est fou quand même parce que, finalement, … ça rappelle un peu la fin de l’esclavage quand il a fallu apprendre à des gens que les noirs n’étaient pas des animaux …
- Disons que les débats houleux qui eurent lieu ont démontré que certains parallèles étaient permis. Je ne te dis pas que c’était le bagne puisqu’avec ton tonton, on avait réussi, avant, à vivre presque normalement. Et pour cause, tu le connais, faut pas trop se montrer … Pourtant, on avait réussi à acheter ensemble, à nous pacser en 2010 …
- Vous « pacser » ?
- Oui, c’était une forme d’union civile reposant sur un contrat qu’on passait ensemble. Y en a encore tu sais aujourd’hui et curieusement, ce sont beaucoup d’hommes et de femmes qui vivent ensemble qui en font alors qu’au départ, c’était clairement calibré pour permettre toutes les unions, homo ou pas.
- Ah ok … c’est ce dont tu parlais la dernière fois à Papa …
- Oui, c’est ça.
- Mais attends … ils ont vraiment dit ce que tu as expliqué dans … attends … « Liberté des cons n’est pas science » ? Nan mais parce que c’est super grave !!! Comment des gens peuvent dire des choses pareilles, avoir autant de haine et prétendre aimer leur prochain ? Ca me dégoute ...
- Non seulement ils l’ont dit, d’autres sont allés plus loin, ont traité les homosexuels de terroristes, un vieux con a même expliqué que c’était la fin de la société sous 10 ans et tant d’autres inepties. Je me souviens avoir discuté avec un ami avant tout cela et nous avions anticipé que ce serait dur, qu’on en prendrait plein la tête mais qu’il fallait en passer par là. C’est comme ça, on savait qu’on ne pourrait pas en faire l’économie. Là-dessus, j’étais d’accord avec le gouvernement d’alors : il fallait permettre au débat d’avoir lieu. Que les radicaux s’exprimassent, c’était normal. Qu’on se fasse insulter pratiquement quotidiennement par tel maire refoulé ou telle parlementaire confondant tout, ça c’était plus difficile. Mais voila, rien ne s’est, hélas, jamais fait sans cette douleur. Et je me dis que ça valait le coup …
- Tu le crois vraiment ?
- Ninette … Regarde aujourd’hui ! Tu trouves ça parfaitement normal. Depuis que tu es toute petite, tu me vois avec ton autre tonton alors que tes parents sont un homme et une femme. C’est ça ma fierté. Qu’une loi ait permis en 2013 de rendre légal ce qui était déjà parfaitement normal. Qu’il eût fallu s’en prendre plein le caisson, qu’importe si c’était pour permettre à deux femmes ou deux hommes de pouvoir se marier comme n’importe qui d’autre avec la personne qu’ils/elles aiment.
- Bah oui … je trouve ça trop bête que ça n’ait pas été le cas avant …
- C’est la société ma grande. Un jour, je te ferai relire des bouquins de psychologie des années 1960, tu verras qu’on y parle d’homosexualité en des termes vertigineux : on était des « invertis », des erreurs de la nature !. Pas étonnant donc que certains se soient déchaînés.
- Mais … c’était plus toi ou tonton qui voulait se marier ?
- Je me souviens très bien le lui avoir demandé un soir, à Naxos en 2012, sous une tonnelle pleine de feuilles avant que la loi ne soit votée. Je crois que … je n’ai pas souvent été aussi ému dans ma vie. Et puis, comme il faut toujours le faire avec lui, il faut du temps, que la loi passe, que ça mûrisse un peu mais au moins il savait que j’étais prêt et que je l'attendais. Et puis, derrière ses grandes phrases définitives, c’est un grand romantique ton tonton, tu le connais ... il n’attendait que cela.
- Ouais mais vous ne vous êtes pas mariés tout de suite …
- Bah non. Je ne voulais pas trop jouer avec ça. Débouler le lendemain du vote de la loi dans une mairie pour faire comme s’il s'en était agi d’une question de vie ou de mort, ça aurait été finalement grotesque. Nous, on a bu une bouteille de champagne le soir de la promulgation de la loi, entre nous. Pas de chars, pas de klaxons dans les rues comme si on avait gagné la coupe du monde … Tu sais bien que lui comme moi, nous ne sommes pas très exubérants, surtout sur un sujet pareil.
- Pourtant, tu avais l’air tellement en colère quand on lit ce que tu écrivais que tu aurais pu avoir envie … moi, à ta place, j’aurais peut-être aimé leur montrer à tous ces cons que …

Zolimari, qui écoutait depuis quelques minutes, sort alors de son ombre et intervient :  
- Ca aurait servi à quoi sinon, comme le dit souvent ton Ttoton, d’agiter un chiffon rouge devant un taureau déjà bien énervé de voir passer une loi qu'il vomissait ? Tu crois que ça nous aurait apporté quelque chose de plus Ninette ?
- Bah tu sais tonton, ça pourrait juste te faire plaisir, juste te dire que tu n’avais plus à rougir de ça, que tu n’avais plus à te cacher …
- Ton Ttoton te l’a dit : finalement, on ne se cachait pas trop. Et par la suite, on n'a pas été moins discrets. C’est juste que c’était très inégalitaire de nous interdire de nous marier. La belle devise républicaine « Liberté Egalité Fraternité », nous, on ne pouvait qu'en douter. Tu vois, par exemple, il fallait qu’on mente pour avoir un enfant et ça, ton Ttoton, ça le mettait en transe !

En les écoutant et porté par Norma, j’ai tourné la tête et j’ai regardé dehors … J’ai pensé à tout ce que j’avais écrit, à ce chemin parcouru … au paradoxe de s’être battu pour cette avancée sociale décisive alors qu’adolescent j’avais juré mes grands dieux que jamais je ne me marierai … J’ai repensé à ces mots, à ces débats, au fait qu’on expliquait à mes parents que j’étais un dégénéré alors qu’ils étaient si fiers de moi …

- Ttoton, tu penses à quoi ? Tu ne dis plus rien …
- J’étais entrain de penser que … je suis heureux de pouvoir en parler avec toi aujourd’hui, heureux de te dire que ça valait le coup, et surtout heureux que ce ne soit plus un sujet depuis toutes ces années. Le plus important c’est ça, que ce soit devenu normal et légitime.
- Mais carrément !! C’est ça qui m’impressionne en fait … [elle soupire de dépit]

Maria Callas terminant son Casta Diva mythique avec toute l'émotion qui me chavira à chaque fois et Zolimari m’ayant rejoint sur le fauteuil à côté du feu, Ninette s’est alors levée et est venue, le sourire aux lèvres et le regard plein de bienveillance, nous enlacer. Elle a serré fort, très fort même …
- Je suis tellement heureuse que vous soyez mes tontons ! Je vous trouve merveilleux de vous aimer autant …

La plus grande victoire, c’est qu’en ce jour de 2025, Zolimari et moi sommes apparus comme des anciens combattants d’une réalité tellement caduque que ça faisait du bien de revenir là-dessus, ne serait-ce que pour apprécier tout le chemin parcouru malgré les insultes et les horreurs qu’on avait naguère entendues. La loi était passée en 2013 et plus personne ne songeait aujourd’hui à revenir dessus.

- Dis Ttoton, tu crois je me marierai un jour ?
- Ca va épouvanter ton père [rires] mais … je pense que oui. Depuis 2013, ce n’est plus qu’une question de « vouloir » et non pas de « pouvoir ». Et ça, ça change tout !

Tto, dans 13 ans, presque jour pour jour

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Commentaires
D
Mais carrément que je vais être épouvanté ! !! Déjà qu'il y aura un(e) petit(e) con(ne) qui va briser le cœur de ma fille, et là, tu envisages le mariage ?!<br /> <br /> Alors par contre, si on pouvait avancer un peu la date de l'anticipation, ça m'irait...déjà parce que je compte bien vous laisser ma fille avant ses 14 ans (même si pour des raisons de rhétorique, je comprends que ce soit plus stimulant), et aussi parce que j'aimerais bien que la société bouge son cul un peu plus vite que ça ! <br /> <br /> Je rappelle à la France que le but 1er d'une société démocratique (au sens des Lumières) est de maximiser le bien être de ses individus/citoyens...<br /> <br /> Y en a qui veulent se marier ? d'autres pas ?<br /> <br /> Et bien, tant mieux dans les 2 cas (même si ça inclut ma fille), que les réfractaires retournent casser les couilles sur d'autres sujets. <br /> <br /> C'est marrant comme on entend moins ces moralisateurs à la petite semaine sur les sdf qui meurent de froid, sur l'incapacité d'un gouvernement (de quelques rives qu'il soit) à endiguer une demande toujours plus forte à la soupe populaire ou aux Restos du cœur...Tous mes vœux de bonheur bro' !
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J
Tto...j'AdÔooooRe!<br /> <br /> en espérant que vous pourrez effectivement tenir cette conversation en 2025!<br /> <br /> et pour le mariage: c'est vrai: l'important c'est de pouvoir le faire!
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J
Je n'aurais pas su mieux écrire :) .<br /> <br /> Juste un mot : merci :)
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C
Alors comme ça à 50ans c'est feu de cheminée, charentaises et il est où le labrador ? :)<br /> <br /> Blague à part, très joli article. <br /> <br /> Et pour Ninette qui lira peut-être un jour ce commentaire : Tu as 2 super tontons. Profites en :)
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G
Clap, clap, clap !
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