Leçon 3 : Les symboles ont une importance capitale
Si tu as manqué le début de la série, le prologue est ici.
Dans la vie d'un petit garçon de bientôt 10 ans dont les parents se déchirent sans ménagements ni retenue, il est des échéances qui comptent, des repères auxquels il devient presque vital de se raccrocher, comme le temoin d'une stabilité que l'on veut encore croire comme réelle et non plus illusoire. A mesure que les perspectives s'obscurcissaient, que les certitudes s'effondraient les unes les autres comme les cartes d'un château définitivement agonisant de sa naïveté, je voulais croire que quelque chose perdurerait malgré tout.
A l'instar de ce que j'avais commencé à faire depuis quelques temps, je voulais faire une fête. Saisissant constraste que celui de vouloir se réjouir alors que tout dégringole et que chaque minute passée est une victoire contre le chaos. Oui mais voila, je me suis dit qu'en plein désert, ce qui permet de le traverser c'est aussi de trouver une oasis. Le prétexte était tout trouvé et permettait de tenter de réunir l'irréconciliable. Fêter mon anniversaire était devenu une priorité, une nécessité, un salut.
"Tu veux faire quoi plus tard Tto ?" A cette question, j'ai souvent répondu : "Je veux faire Michel Drucker". Oui, j'étais emmerveillé devant les paillettes et le strass des plateaux de Champs-Elysées, la magie de la télévision et l'enchantement en résultant. Et moi, à ma mesure, je faisais un petit spectacle dans le salon avec des imitations, des jeux ... histoire de passer une bonne soirée devant mon public restreint mais acquis. Reprendre cette recette était une évidence pour cette fête d'anniversaire que je m'organisais moi-même puisque personne n'aurait le coeur de le faire pour moi.
Comme de coutume, j'ai élaboré mon programme, lancé mes invitations, tout préparé.
Tout était prêt et, sans mentir, c'était la meilleure soirée que j'avais organisée avec mes pauvres moyens [encore plus indigents depuis que nous n'avions plus beaucoup d'argent et que mon père passait à des fréquences de plus en plus espacées pour ravitailler le portefeuille de ma mère]. Qu'importe ... la soirée serait belle.
Je me souviens avoir passé l'après-midi à être excité comme une puce avec la perspective de revoir mes parents autour de moi ... comme avant. Je ne voulais louper aucun détail qui aurait pu ternir le tableau. J'étais bien conscient que je me servais de mon propre anniversaire pour forcer un peu les choses et le prétexte tout affectif pouvait leur servir à renouer le dialogue et moi, pouvait me donner le répit tant espéré depuis que la tornade dévastait tout sur son passage.
Ma mère avait fait un peu de cuisine et nous avions du rosbeef avec des pommes de terre noisette à raison de l'occasion mais je commençais à m'inquiéter des yeux très rouges de ma mère ... et surtout ce regard ...
Lorsqu'à 21h, alors que j'attendais patiemment sur le canapé, ma mère est venue me voir pour m'annoncer ce que je ne voulais pas voir, ce que je refusais de comprendre en me consacrant à une organisation hystérique.
"Ton père ne viendra pas."
Je n'ai jamais été poignardé de ma vie mais je pense savoir ce que l'on ressent en de pareilles circonstances, le sel de l'histoire étant que j'ai ressenti l'avoir été dans le dos puisque mon père n'avait pas eu le courage de me le dire personnellement. Son fils avait 10 ans ce soir et lui avait considéré qu'il était plus utile ailleurs que pour son fils aîné qu'il avait chargé quelques semaines plus tôt du trop lourd fardeau de sa propre lacheté. Sans aucune vergogne, il avait fait le choix de l'absence et de l'inconsidération et moi, je me retrouvais à la tête d'une fête qui n'avait plus aucun sens, d'un espoir d'oxygène qui devenait plus suffoquant maintenant qu'il était déçu.
La soirée n'a plus été qu'une longue agonie dont j'ai fait le choix de rayer le moindre souvenir. J'ai juste conservé dans mon esprit la souvenance du fait que mon père n'était pas là ce soir là, préférant autre chose que son fils. La fracture devenait totale et béante, irréparable pour des années. Elle justifiait à jamais que je n'organise plus rien pour l'un quelconque de mes anniversaires.
Les adultes ne perçoivent jamais le mal qu'ils font en relativisant toujours ce qui les dérange. Mon père n'a jamais soufflé les bougies de mes dix ans. Pour le petit homme que j'étais, il en a résulté une giffle dont les traces resteront indélébiles.
Les symboles ont une force qui dépasse souvent la conception égotique qu'on leur confère.