La première fois que ... j'ai compris que mes grands parents ne reviendraient plus
Si l'on n'est pas sérieux quand on a 17 ans, on ne comprend pas tout quand on n'a que 6 ans !
En l'espace de trois semaines, cet hiver 1982, j'ai perdu ma grand-mère et mon grand père. Tous les deux ont été emportés par une longue maladie comme on dit souvent en de pareilles circonstances ... Nous ne vivions pas loin les uns des autres et j'avais eu la chance de les connaître, de passer des moments extraordinaires chez eux [ouh la la, j'en ai des choses à vous raconter d'ailleurs, là je m'en souviens d'un coup ... mais tel n'est pas le propos aujourd'hui] ...
Ma grand-mère est décédée le 27 janvier 1982 et mon grand père le 18 février 1982 ... Trois semaines auront suffi à les emporter tous les deux. je n'ai pas eu la chance d'avoir des grands parents que j'ai connu longtemps, je n'ai pas eu la chance de grandir à côté d'eux, je n'ai pas eu la chance d'en profiter au delà de mes six ans ... et encore je ne me plains pas, mon frère a eu encore moins de chance que moi ... C'est certainement l'une des raisons qui fait que je suis sans indulgence avec les gens qui viennent m'expliquer que décidément aller voir leurs grands parents, c'est trop la mort et qu'ils préféreraient se pendre plutôt que d'aller gaspiller leur temps ainsi. Que ce soit dans ma famille ou avec des amis, j'ai trop entendu ce genre de discours qui m'a inexorablement fait penser que moi je n'ai pas eu la chance de les conserver si longtemps ... mon frère et moi n'avons pas eu le plaisir et la joie de les voir à Noël, de les entendre régulièrement au téléphone nous demander comment ça allait, de leur parler pour connaître plein de choses de leur passé [je ne cesse de le penser ... on apprend tellement de choses à parler avec des personnes âgées ...], de nous faire consoler par eux quand avec nos parents c'était limite la guerre des Six jours avec tous les bombardements et tout et tout ... les grands parents, ça sert à ça et nous, on n'a pas eu le droit d'y goûter.
C'est pour cela que je cherche et je rechercherai longtemps dans les personnes âgées vis à vis desquelles j'éprouve une dévorante tendresse ... toujours un peu de mon grand père, toujours un peu de ma grand mère ... C'est comme ça, y a des carences que l'on met une vie à tenter de soulager sans jamais y parvenir ...
Ce jour là, j'avais été particulièrement impossible. Ma mère n'en pouvait plus, ma chambre n'était pas rangée [original !], je n'avais aidé à rien du tout au cours de la journée ... on avait du se chamailler avec mon frangin de sorte que quand Pater Noster est rentré du travail, je peux vous dire que ça a chauffé pour mon matricule. Mais quand on a mauvais caractère comme moi, même venant de mon Pôpa, ça ne peut pas marcher tout de même ... Donc même déjà à 6 ans, ça claque !!
Mon père est alors venu dans ma chambre, a tenté une discussion [oui, une sorte de médiation pour laquelle il pensait encore avoir l'autorité nécessaire et les arguments suffisants] et hélas ... n'a eu d'autre choix que de sévir ... jouer de son autorité afin de me contraindre à faire ce à quoi je résistais depuis des heures. Oui mais voila ... mettez Nitro et Glycérine dans un flacon, ajoutez un peu de TNT, secouez moi tout ça ... et hop ...
Trrreeemmmmbbbblleeemmmeennntt ddddeeeee ttttteeeeeerrrrrrrrrrrrrreeee !
Je me souviens super bien être alors sorti de ma chambre, laissant mon père dedans ... je pleurais, naturellement, et en sortant sur le palier lugubre parce que la lumière du mois de mars ou d'avril 82 était crépusculaire, je croise ma mère qui attendait le résultat des opérations ... je la contourne ... et je me retourne en vomissant ces paroles assassines ...
- Vous êtes tous les deux méchants, J'm'en fiche, j'vais aller chez Mamy, elle au moins elle est gentille !
Une fois calmé, ma mère est venue me voir et m'a expliqué qu'il ne fallait plus que je dise des trucs pareils parce que ma grand-mère ne reviendrait plus. Comme mon grand-père d'ailleurs. C'était fini et il fallait que je l'accepte, personne n'y pouvait rien. Elle m'a aussi dit que mon père avait mal quand on parlait de ses propres parents qui venaient de partir ... et que c'était méchant de ma part ... Avec le recul, je vois surtout cela comme de la douleur d'avoir perdu ma grand-mère pour laquelle je n'aurai jamais assez de mots pour décrire la gentillesse et toute la grandeur d'âme qui je lui reconnais.
Dans la douleur, on ne comprend pas tout à six ans ... c'est comme ça que cela s'est passé ...
Tto, éraflé