Tristis atmosphaera

Voilà qui te fera réviser quelques mots d'un latin oublié depuis trop longtemps [au sujet duquel je partage une passion moins vibrante que Matoo, mais une passion malgré tout]. L'ambiance est lugubre ... et cela ne tient pas qu'à la météo ou à un syndrome dépressif consécutif à un retour de vacances difficile. Non, nous baignons depuis quelques jours dans une période comme il s'en présente parfois d'accumulation de disparitions de personnes connues ou qui ont connu un brin de célébrité à un moment.

Mon père aime toujours à dire que c'est la loi des séries et qu'il y a des saisons plus propices que d'autres à cela, comprendre l'automne et le printemps parce que les organismes sont soit éprouvés par les fortes chaleurs ou la rudesse de l'hiver.

Tu as été plongé dans le coma depuis près d'une semaine si tu ignores encore que l'ancien Président de la République Jacques Chirac est décédé [et, ce faisant, tu as ainsi échappé aux délires mémoriels qui ripolinent, au moins un temps, les parcours de ceux à qui l'on fait porter des habits parfois trop larges pour leurs épaules]. Mais il n'y a pas que Jacques Chirac qui vient de passer l'arme à gauche et la liste s'allonge au point qu'il va encore falloir que je jongle pour que la nécrologie que je publierai ici en fin d'année soit à peu près digeste.

Ainsi, il faut ajouter André Gaillard qui vient de mourir à 91 ans, l'ex acolyte de Teddy Vrignault dans le duo Les Frères Ennemis, dont tu as nécessairement croisé la gouaille et la tête si reconnaissable. Sans vouloir faire de hiérarchie, une Miss France [1990] est décédée dans un accident de voiture, Dominique Webb aussi [célèbre illusionniste qui fit les belles heures de shows télé dans les années 70 et 80], René Mella [l'un des Compagnons de la Chanson], Eliane Gauthier [la fameuse Julie de "L'île aux enfants"] et bien entendu l'immense Jessye Norman [dont l'Ave Maria de Schubert est une pure merveille ... bien au delà de sa Marseillaise de 1989].

Oh certes, quand je consulte mes tablettes, il n'y a pas spécialement d'inflation en ce moment mais c'est d'ambiance dont il est question. Depuis jeudi dernier, tout le monde y va de son oraison funèbre alors bien entendu, tout nouvel avis de décès prend une résonance particulière sinon un relief qu'il n'aurait pas eu si les journaux télévisés et autres ne parlaient seulement que de la réforme des retraites.

Il y a, parfois, des vagues comme celles-ci ... comme on trouve aussi des modes d'information où l'on a l'impression qu'il n'y a que des agressions dans les transports, que des plans sociaux, que des explosions d'usine, que des appels à l'acte terroriste. C'est d'ailleurs assez intéressant de voir que le flux d'information se thématise voire s'agglomère à mesure que l'on n'a de moins en moins de recul sur le torrent généré par celui-ci. Les scandales financiers sont rarement isolés comme les dérapages politiques ... l'ambiance actuelle prédisposant clairement à mettre en relief toute disparition.

Comme un accès de fièvre, il faut attendre que cela passe [et en l'occurrence, il me tarde que l'on cesse de glorifier le parcours d'un Chirac qui n'est pas si étincellant que cela même s'il m'apparait justifié qu'un hommage national lui fut rendu à raison de sa fonction exercée de 1995 à 2007]. Oui, c'est assez proche de la fièvre qui finira bien par retomber, et avec elle, la possibilité de recouvrer un peu de lucidité et de décence ce qui nous épargnera ceux qui savaient déjà tout sur tout, ceux qui profitent de la sinistre nouvelle pour se faire mousser [entre eux et celui qui prend un selfie devant le cercueil de Chirac, quelle différence y a-t-il au fond ?] ou encore les hagiographes qui mélangent tout pour raconter n'importe quoi et donc exister encore et toujours. Cette fièvre témoigne surtout d'un délire nostalgique qui fait regretter, au travers du décès de certains, une époque révolue [les réactions croisées à l'occasion du décès d'Ariane Carletti furent à cet égard une démonstration par l'exemple] ... s'agissant de Chirac, cette France fantasmée que l'on imagine comme résistante à l'ordre du monde alors qu'en fait pas du tout et que tout résulte du seul fait que le pays n'a pas suivi les délires Bushesques sur l'Irak. Le pompon a été ce sondage qui a placé Jacques Chirac comme le meilleur Président de la Vème République après Charles de Gaulle !

Si l'on témoignait d'autant de ferveur à rendre hommage à Jessye Norman, voilà qui me rassurerait sur la propension de mes contemporains à s'élever un peu et sortir de leur nombrilisme qui les pousse à utiliser le départ de certains pour exister et nous balancer encore du "moi je" en toute indécence. Nous savons bien que nous en sommes loin, raison pour laquelle je me laisse envoûter par la voix incroyable de la cantatrice américaine disparue il y a quelques heures ... sans que cela ne me console ni de son départ, ni de cette époque.

Tto, qui se faisait toutes ces réflexions là