Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
une vie de tto
17 avril 2019

Les externalités positives de l'incendie

IMG_3834

Je ne le dis pas souvent mais j'ai passé une année fantastique en étant, in fine, diplômé en Droit du Patrimoine Culturel. J'ai finalisé mes études de Droit ainsi et d'une approche "Je fais un DESS Trivial Pursuit", j'ai finalisé ce parcours par une année où j'ai appris plein de choses, je me suis rendu compte que cette sphère comptait énormément pour moi et, ce faisant, qu'elle faisait écho à beaucoup de choses au tréfonds de mes valeurs. Le Patrimoine Culturel, ce n'est pas forcément la collection muséale ou la restauration de secteurs sauvegardés comme Versailles ou le Marais. Non ... c'est cela bien sur mais cela permet d'embrasser les archives, l'archéologie, le bâti industriel comme l'immatériel [je me suis d'ailleurs attaché à démontrer qu'une émission de télévision comme "La chasse aux trésors" était tout aussi patrimoniale qu'un tableau de Delacroix].

IMG_3833

La tragédie touchant Notre-Dame de Paris m'a sidéré lundi soir. Sidéré parce qu'elle a ravivé ce souci du témoignage authentique qui traverse les siècles et, ce faisant, les racines qu'un peuple doit entretenir avec son Histoire. A ceux qui m'expliquaient que c'était une année cool que d'étudier le Droit du Patrimoine Culturel, j'ai toujours répondu qu'on peut considérer que c'est "cool" de se balader à l'Ecole du Patrimoine, à l'Elysée, dans des Directions Régionales des Affaires Culturelles ... mais c'était surtout cohérent pour moi qui est viscéralement attaché à l'analyse historique d'une société. Je trouve vertigineux que les américains n'aient que 250 ans d'histoire tout au plus et c'est ainsi que j'explique leur fascination pour les vieilles pierres européennes et particulièrement françaises. Non ce n'est pas cool, c'est cohérent de voir dans l'effort insuffisant consacré à la préservation du patrimoine la traduction du fait qu'un peuple sans histoire n'a plus d'identité. "Quand un peuple perd son identité, ses racines, sa langue et son histoire, sa terre devient une épave sans propriétaire. N'importe quelle idéologie peut l'envahir et soumettre son peuple" lisais-je hier ... je ne suis pas loin de le penser étant toutefois préciser que la question n'est pas celle de la vulnérabilité mais plus précisément de l'identité.

Que la cathédrale de Notre-Dame brûle est attristant d'un simple point de vue matériel parce que l'on perd le témoignage auasi unique d'une époque révolue, un talisman considéré comme un héritage glorieux d'un passé appartenant au temps des bâtisseurs de cathédrales. C'est aussi émouvant parce que la dimension spirituelle laïque dépasse de loin l'édifice religieux déjà assez profond. Une cathédrale, c'est toujours une église et en cela la cathédrale Notre-Dame est évidemment un lieu de culte catholique. Mais le parvis de la cathédrale inscrit l'édifice au centre du pays en ce qu'il comporte le point 0 des 14 routes nationales qui permettent d'accéder aux recoins du pays. Les événements historiques s'étant déroulés au sein de la cathédrale accentuent tout autant la charge symbolique nationale de ce qui n'est plus une église comme les autres, Victor Hugo achevant d'en faire un symbole de la Nation au même titre que les Champs-Elysées ou encore la place de la Bastille. On aurait donc tort d'imaginer que ce ne fut qu'une simple église qui brula il y a quelques heures. D'ailleurs, immédiatement quand j'ai appris la tragédie qui se déroulait là-bas, je suis resté interdit en regardant le panache de fumée que l'on pouvait observer parfaitement au Mont Valérien, là où je me trouvais. Tout de suite, j'ai compris que l'on avait là un événement majeur qui allait tout balayer parce qu'en définitive, le lieu est national et procède bien du monument historique emblématique. Oui, au même titre que la Tour Eiffel, le Château de Versailles ou le Musée du Louvre [les trois stars du tourisme français], la cathédrale Notre-Dame est à part parce que chacun l'a approchée au moins une fois et, la plupart du temps, l'a visitée. Ce faisant, tout le monde entretient donc une relation particulière avec l'édifice, renforcé par la légende du livre de Victor Hugo et les différentes adaptations qui en furent faites. En cela, on touche vraiment au concept même de patrimoine culturel. C'est d'autant plus certain qu'elle figure toujours dans n'importe quelle représentation de la skyline parisienne aux côtés de la Tour Eiffel, du Sacré Coeur et de l'Arc de Triomphe.

main_1200

main_1200 (2)

Emmanuel Macron n'a pas laissé filer la charge symbolique de l'incendie, refusant de verser comme certains imbéciles dans l'analogie avec l'éventuel déclin de la civilisation française et, partant, européenne occidentale. Bien sur que non ... le feu a dévoré un monument au sens le plus littéral du terme, le feu a fait craindre que ne s'écroulasse le symbole d'une nation séculaire qui avait édifié un lieu de culte il y a 856 ans [en le remaniant copieusement]. Les flammes faillirent réduire en cendres une figure allégorique et c'est précisément pour cela que cela touche, que cela remue parce que l'on refuse en 2019 de voir partir une partie de nous-mêmes parce qu'une étincelle embrase ce qui doit être protégé. C'est d'ailleurs assez saisissant de voir qu'à l'instar des volcans qui crachent du feu, on a personnifié la cathédrale de façon décomplexée depuis lundi soir, venant à son chevet, priant pour qu'elle s'en sorte ou que sais-je encore. C'est tout cela qui m'a fait me souvenir des fondamentaux d'une politique de patrimoine culturel dont le gouvernement a parfaitement compris qu'il fallait capitaliser dessus pour cimenter le corps social abîmé par une vingtaine de samedis de déprédations "gilets-jaunesques". La cathédrale Notre-Dame pourrait bien servir d'antidote à une crise sociétale, sa consumation servant finalement d'expiation aux délires de tous ordres qui émaillent le pays depuis bientôt une année. C'est d'ailleurs assez paradoxal : l'incendie va coûter les yeux de la tête en ce qu'il faudra reconstruire la cathédrale et va priver Paris de la jouissance d'un monument qui attirait plus de 13 millions de visiteurs annuels [n'ayons pas d'inquiétude : ils se rabattront sur d'autres points d'intérêt].

IMG_3832

main_1200 (4)

Au surplus, le drame de lundi, qui n'aura coûté la vie à personne [ce qui est déjà un miracle dont il faut se féliciter en plus de la préservation de toutes les pièces majeures du Trésor], remet cruellement au goût du jour la nécessité de disposer d'une politique patrimoniale et culturelle que la France avait tendance à abandonner au prix du respect des équilibres comptables. Ce faisant, elle négligeait un fonds de commerce touristique que d'autres se damneraient pour n'en disposer que du quart du cinquième. Oui, à un moment où l'on veut solidifier les fondations d'une nation, il serait inepte de n'en pas préserver le patrimoine si riche. En cela, le formidable outil des lois de 1964 et suivantes apparaît comme un joyau dont il faudra bien se saisir parce qu'il est assez clair qu'il place au dessus des contingences matérielles et financières l'idée même du dénominateur commun qui illustre tout ce qui unit un groupe social et national. C'est la vocation du patrimoine qui ne doit pas seulement être entendu comme autant de cloches que l'on placerait au dessus de tel ou tel édifice pour en conserver l'apparence qui serait le gage du souvenir, le patrimoine culturel est bien plus large que cela, il est la traduction du repère, le trait d'union par delà les siècles, la fierté de l'héritage. Évidemment, rien n'est gratuit et cela suppose d'y mettre les moyens, quand bien même les indulgences prodiguées depuis lundi soir notamment par les généreux mécènes qui allégeront leurs charges fiscales en donnant abondamment [François-Henri Pinault a annoncé qu'il renonçait à la défiscalisation] ne sont pas désintéressées et ne procèdent pas seulement de l'émotion. Toutefois, le milliard d'euros déjà réuni rassure en même temps qu'il m'inquiète parce que très soudain et surtout parce qu'il déséquilibre durablement la politique patrimoniale de l'Etat [les sommes récoltées correspondant déjà à trois années budgétaires normales pour l'ensemble des monuments]. Oh oui, Stéphane Bern peut faire des moulinets avec les bras, il sera désormais un peu plus entendu et l'on peut espérer que les subsides seront plus aisés à diriger vers les lieux qui en ont besoin.

Notre-Dame, en brûlant, a donc ravivé l'idée de nation, de communauté, de patrimoine et l'importance du lien entre un peuple et son histoire. S'il fallait en passer par là pour que cela se produise, c'est dommageable mais cela aura alors valu le coup, au delà des images fascinantes de l'incendie et de la dramaturgie de la soirée qui fit passer en breaking-news toutes les chaînes d'information du monde. Comme un film catastrophe, j'ai regardé, hypnotisé, les images d'un lieu emblématique qui brûlait et la charge symbolique très forte avec lui. Comme j'avais été sans voix en regardant les tours de New-York s'effondrer le 11 septembre 2001, j'ai regardé l'Histoire se dérouler sous mes yeux en voulant croire que cet incendie ne serait qu'une péripétie de plus dans la vie tumultueuse et mouvementée de la cathédrale Notre-Dame. L'émotion m'a submergé comme lors des catastrophes que le pays connut même récemment ... parce que cette cathédrale c'est, quoi qu'on veuille bien en dire et au delà des simples enveloppes matérielles en cause, un peu de nous qui partait en fumée avec l'indicible perception de voir s'échapper un passé dont on n'aura plus le même témoignage authentique. Certes ... mais en matière de patrimoine culturel, l'authenticité n'est finalement qu'accessoire et pas primordiale : le symbole prime et, a priori, il sera intact.

main_1200 (1)

Tto, paradoxalement rassuré

Publicité
Publicité
Commentaires
Publicité
Newsletter
Archives
Publicité