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une vie de tto
30 octobre 2018

On revient toujours sur son crime

On revient toujours sur son crime

Au risque de la redite, je ne relis que très rarement ce que j'écris ici et, parfois, il arrive que quelques choses m'échappent ... comme si le filtre avait un petit raté, comme si le vernis craquait l'espace d'un instant.

C'est exactement ce qui s'est passé lorsque j'ai commencé à te raconter comment je me suis tabasser la première fois. Il faut savoir que ces récits sont assez éprouvants pour moi puisque je me force à replonger dans des épisodes plus rugueux que si je te racontais la première fois où j'ai utilisé le capot d'une voiture comme assise de mes assauts lubriques, là en ce moment et depuis la rentrée, on est dans le dur. Du coup, comme cela brasse pas mal de sentiments, le radar euphémisant ne sait plus où donner de la tête et il laisse passer des choses.

"J'ai mal vécu chaque rentrée parce que j'avais l'impression de ne pas mériter ces nouvelles fournitures, ces cahiers rutilants ou encore ces stylos qui ne manqueraient pas de décevoir tant la maîtresse que mon père et ma mère qui avaient sacrifié un peu d'argent... " ai-je donc écrit et je crois que c'est là la première fois que j'aborde le sujet, au détour d'une phrase qui a pu passer inaperçue pour la majorité mais pas pour tout le monde [j'aime décidément toujours que certains soient connectés à la double-lecture de ce que je propose].

Lorsque j'ai lu le commentaire m'apostrophant au sujet de cette phrase, ma première réaction fut "Oups ... mince, je ne l'avais pas vue passer celle-là". Du coup, j'ai pris le temps de réfléchir à la façon dont j'allais m'expliquer et, ce faisant, te livrer une nouvelle clef de lecture, inédite, et pourtant fondamentale dans ce qu'elle conditionne au quotidien.

Oui, ce n'est pas une fausse pudeur que de dire que j'ai mal vécu qu'on m'achète des fournitures scolaires. Je vis très mal nombre d'attentions dont je suis l'objet en général et c'est vrai que la rentrée scolaire était l'illustration de ce que l'on sacrifiait plein de choses pour me permettre d'étudier alors que je considérais que ce n'était, au fond, pas utile. Pas utile non fonctionnellement mais pas utile en argent. Outre que lesdites fournitures avaient toujours l'effet pervers de segmenter [les trucs cools des uns ringardisaient ceux des autres], j'avais considéré depuis longtemps qu'elles s'analysaient en du gaspillage parce que pour ce que j'en ferai, il ne servait pas à grand chose d'y mettre autant d'argent. C'est au jeu de la comparaison avec les autres que l'épreuve était encore plus cruelle parce que le jeu de celui qui a la plus grosse commence aussi à ce niveau là [le cours de sport étant un paroxysme de la comparaison des couilles de chacun, et finalement une remise à zéro de la hiérarchie scolaire]. J'avais, par nécessité et aussi par choix, toujours voulu n'avoir que des fournitures basiques. Du coup, il s'en suivait une certaine médiocrité pour certaines [les copies-doubles en papier recyclé, c'est tout de même un enfer] mais également de bonnes surprises pour d'autres. Néanmoins, je me disais toujours en mon fort intérieur qu'il ne servait à rien de m'équiper comme un coureur du Tour de France puisque je savais que je ne pédalerai pas comme il le faudrait pour le gagner même si j'avais tout pour cela.

Je suis un garçon à la scolarité PMF, peut mieux faire. J'ai d'évidentes facilités, une force de travail assez remarquable et donc j'économise mes efforts. Dans une société du mérite et de la performance, tu vois bien le décalage que j'ai pu ressentir dès le début. Même en ne glandant rien toute l'année en 4ème, j'étais à 9,5 et il ne m'a fallu réviser que deux contrôles pour passer en classe supérieure, au bon moment. Les exemples sont nombreux : j'ai révisé mon bac en 10 jours et en passant le mois précédant le début des épreuves à faire ... des réussites sur mon lit. J'ai eu 19/20 dans un mémoire d'histoire du Droit, mémoire que j'ai écrit en 60 heures, quasiment non-stop. Les exemples sont légions ...

Du coup, investir sur moi alors que je sais que je n'irai pas au bout de mes capacités me culpabilise. Que ma Môman prenne du temps pour m'emmener à une épreuve musicale pour mon bac, épreuve que je n'ai pas préparé et à laquelle je ferai semblant d'aller, oui cela me culpabilise. Qu'on me paye un beau rapporteur ou une belle trousse, c'est du même tonneau. Qu'on m'offre un joli cadeau, c'est exactement pareil ... j'ai viscéralement l'impression de ne pas mériter grand chose et, partant, d'être en trop. Un jour, je te raconterai le trauma résultant du fait qu'en dernière classe de maternelle, j'ai subi le fait qu'un petit garçon me prenait systématiquement mes affaires parce qu'elles étaient plus belles que les siennes, notamment un coussin pour s'asseoir que ma mère m'avait fait. J'ai vécu comme la plus profonde des injustices le fait qu'il me pique mes affaires et j'ai commencé à m'en foutre plein la gueule de ne pouvoir exprimer le fait que ce n'était pas normal. Non, je restais tout seul dans mon coin, comme puni et avec le sentiment que je l'avais bien mérité alors qu'objectivement non. Pour les cours de sport, j'ai également eu cette approche masochiste consistant à susciter le fait que l'on m'humilie constamment au point que j'en étais arrivé à me faire mes propres dispenses de sport quand cela était trop oppressant. En matière de harcèlement, j'ai donné mais je ne me suis pas épargné moi-même.

Pour les cadeaux, c'est exactement pareil. Tu n'imagines pas mon embarras, ma gène sinon le fait que je culpabilise quand on m'offre quelque chose. Une fois sur deux, je fais semblant, je surjoue aussi. Du coup, avec le temps, j'ai trouvé la parade : je m'offre tout avant, je ne cesse d'expliquer que j'ai des goûts clivants et très personnels, j'impose de rentrer dans des concours de cadeaux pourris où finalement l'enjeu n'est plus d'avoir des cadeaux qui plaisent mais qui déplaisent. Définitivement, c'est une façon de contourner l'obstacle, de décourager d'éventuelles velléités de vouloir me faire plaisir étant précisé que je n'ai pas cette prévention avec Zolimari qui tombe juste presqu'à chaque fois. Bien évidemment, c'est le casse-tête mais cela m'autorise à louvoyer entre la figure imposée du cadeau et le fait que je m'en sente indigne.

Naturellement, pour celles et ceux qui s'arrêtent au masque de l'arrogance, de la suffisance et du snobisme que je projette très vite comme un écran de fumée, ce que je viens d'expliquer peut rendre incrédule, sinon donner l'impression que je suis vraiment un odieux manipulateur. Ce n'est pas une impression : j'en suis un, de la pire espèce en plus mais ce n'est pas au détriment de l'autre, toujours pour ce qui me concerne. C'est une règle et c'est ainsi : je revendique également d'être opportuniste [ce qui est une qualité à mes yeux] et profondément stratège, ces deux traits de caractère me sauvant du naufrage. S'arrêter à ce que je te sers, c'est réducteur mais cela me va dans la plupart des cas. Ceux qui fendent les évidences pour gratter un peu plus ont toute ma reconnaissance parce que je reconnais chez eux ce qui me rend curieux des autres. Tel est mon crime [originel] : ne pas m'aimer au point de douter du bien fondé de mon existence. Chamfort le chante d'ailleurs dans son dernier album : "Exister ça te tombe dessus, comme un grain un soir d'automne , exister n'est pas un dû, on arrive comme un intrus, la veille il n'y avait personne ; exister n'est pas un dû, ça demande un camion-grue, tellement parfois ça pèse des tonnes" ...

Tto, qui devrait se relire de temps en temps

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