La force tranquille sans le monopole du coeur

10 mai 2011

La force tranquille sans le monopole du coeur

10_MAI Tu pensais y échapper ici ? Tu pensais parvenir à passer les mailles d'un filet qui se fait plus inextriquable chaque jour qu'on avance davantage vers la date de cet anniversaire ? Les reportages, documentaires, temoignages, débats et autres retrospectives ne cessent d'envahir les écrans, les pages de journaux, les ondes diverses et variées jusqu'à même prendre une importance tellement démesurées dans la campagne interne au Parti Socialiste qu'il y a matière à s'interroger sur le fameux sillon dans lequel les uns et les autres essayent de se placer de façon captieuse. Pourtant ... il y a trente ans tout pile, 51,76% des suffrages exprimés ce soir là ont permis à François Mitterrand de devenir le Président de la République qui exercera le plus long mandat d'une Vème République dont, paradoxalement, il aura été l'un des plus infatiguable pourfendeurs.

Ah ... le 10 mai 1981 ... Je ne vais pas te demander si tu te souviens de ce que tu faisais ce jour là, où tu étais [encore avec Papa pour nombre d'entre toi, lecteur] ni même ce que tu pensais de tout ça ... Le fait est que ce 10 mai 1981 a marqué l'aternance et, partant, la rupture tant les reformes des septennats Mitterrand furent, à de nombreux égards, structurellement importantes. Prenons un peu le temps de revenir sur les principales ...

L'abolition de la peine de mort, le 9 octobre 1981, est souvent considérée comme la principale d'entre elles. Etant abolitionniste également, je n'y vois que du positif. Socialement, le candidat Mitterrand va instaurer les 39 heures hebdomadaires de travail, la cinquième semaine de congés payés et la retraite à 60 ans avec la loi du 13 janvier 1982. On connait le devenir de tout ça ... n'oublions pas non plus les lois Auroux étendant les droits des travailleurs dans l'entreprise ...
En matière d'organisation politique, la décentralisation a été remise sur les rails [c'est clairement perfectible] après le référundum loupé de 1969 qui provoqua le départ du Général de Gaulle.
La droite ne l'a toujours pas digéré [peut-être moins bien que les 35 heures, c'est te dire ...], mais Mitterrand a également nationalisé des pans entiers de l'industrie et du secteur financier [banques, compagnies d'assurance ...] pour, finalement, que tout soit privatisé par la suite ... Faire et défaire, c'est toujours agir parait-il ...
Socialement toujours, Mitterrand a créé le Revenu Minimum d'Insertion le 30 novembre 1988, la Contribution Sociale Généralisée en 1990 pour parvenir à financer les abyssaux déficits de la Sécurité Sociale [ce dont tous les gouvernements subséquents utiliseront sans aucune vergogne alors qu'ils hurlaient à la création d'un nouvel impôt].
Juridiquement, le 22 juillet 1993, on promulgue le nouveau Code Pénal, dépoussiéré depuis 1810 ...
Et puis ... Mitterrand a honoré une autre promesse de sa campagne de 1981 ... La suppression définitive de l'alinéa 2 de l'article 331 du Code pénal, hérité du régime de Vichy qui, en 1942, incriminait « quiconque aura commis un acte impudique ou contre nature avec un individu mineur du même sexe ». La loi du 4 août 1982 sera votée après que la droite, majoritaire au Sénat s'y soit opposée à deux reprises d'où une dernière lecture à l'Assemblée nationale, après trois votes, le 27 juillet 1982.

On ne peut oublier aussi les discours condamnant l'Apartheid en Afrique du Sud ou demandant le respect des libertés dans le monde. Sa visite surprise à Sarajevo en 1993 est un modèle d'habileté politique ... La reconstruction du couple franco-allemand qui permettra la réunification de l'Allemagne [que Mitterrand n'avait pourtant pas anticipé].

Mais Mitterrand, c'est aussi une vision florentine de la politique et derrière les jeux d'appareils, les luttes de couloirs et les influences, il y a une dimension très éclairée considérant que l'exercice du pouvoir suppose une empreinte culturelle de celui-ci. Ainsi, lesgrands travaux seront nombreux ... Le Parc de la Villette inauguré en 1987, la Cité des Sciences et de l'industrie [commandée par Giscard et ouverte en 1982], l'Institut du Monde Arabe en 1987, le nouveau Ministère des Finances qui déménage du Louvre à Bercy en 1987, la grande Arche de la Défense symbolisant pour le Bicentenaire de la Révolution de 1989 cette empreinte quasi monarchique, l'Opéra Bastille, le Grand Louvre et sa pyramide tant décriée qui fait aujourd'hui presque l'unanimité inauguré en 1994 [je te parle des colonnes de Buren ?], la Cité de la Musique en 1995, ou encore la nouvelle Bibliothèque Nationale ouverte en 1995 et qui porte son nom ...

A côté de ces grandes réalisations, il y a la politique artistique ... le prix unique du livre dès 1981, la création des radios libres en 1982 et la création des chaînes privées dès 1984 [Canal+ en 1984, LA CINQ et TV6 en 1986, La Sept qui deviendra Arte en 1989], la Fête de la Musique le 21 juin 1982 [dont on connait le devenir planétaire], la Fête du Cinéma en 1984 [qui n'a jamais fait une Fête du Cinéma ?], la baisse des tarifs dans les musées nationaux à partir de 1990 ...

Le personnage de roman, la dimension de sa vision, le parcours accidenté de certaines de ses convictions ... tout est fascinant chez Mitterrand. J'entendais hier cette anecdote que racontait André Rousselet [légataire universel de Mitterrand et homme de confiance s'il en fût au point qu'il était l'un des rares à être au parfum de sa doucle vie] : un jour, il demanda à Mitterrand quel pourcentage de connaissance de sa vie pouvait-il revendiquer ? Le Président lui aurait répondu à la cantonade ... 15% ... Outre la vanité du propos, le parcours est fabuleux : des hésitations de jeunesse aux ambitions affirmées, du faux attentat de l'Observatoire à la traversée du désert des lendemains de défaite, du débat de 1974 où Giscard le taxera d'être l'homme du passé à celui de 1981 où il retorquera sept ans plus à Giscard qu'il est l'homme du passif, de la fascination pour la vie aux obsessions morbides, François Mitterrand a permis de constituer nombre d'entretiens à la faveur de la fin de son second mandat. De même, nombreux furent ceux qui compilèrent ses citations. J'en ai retenu trois pour ce billet :
Le courage consiste à dominer sa peur, non pas à ne pas avoir peur.
On n'apprend rien par la parole, mais tout par l'exemple.
La jeunesse n'a pas toujours raison, mais la société qui la frappe a toujours tort.

Je n'étais pas à la Bastille le 10 mai 1981, si j'avais eu l'age je n'y serais pas allé. Je sais juste que j'ai éprouvé une certaine tristesse à l'occasion de son départ de l'Elysée et lors de son décès. Tristesse pour cette idée de la chose publique qui allait disparaitre, tristesse pour le point final à ce parcours hors nome, cette épopée qui n'aurait pas été la même si le 10 mai 1981 [il y a 30 ans], Jean-Pierre Elkabbach et Etienne Mougeotte n'avaient pas annoncé sur Antenne 2 et Europe 1 que "François Mitterrand est élu Président de la République". La France non plus ...