Best of : Un dimanche soir à Ensigné
A l’inquiétude de certains lorsque
j’annonce que je vais, encore, passer mes vacances à Ensigné …. Il
n’est point besoin de faire de longs discours ou de recourir à
l’analyse conventionnelle en trois parties distinctes destinées à
enfermer mon incrédule curieux dans mes certitudes.
Il est juste nécessaire de lire ce qui va suivre …
Ce soir, comme tous les ans, je suis
allé visiter mes grands-parents. Ne crois pas qu’il m’ont fait la bise
: ma grand-mère est décédée un jour d’août trois années avant que je
n’arrive sur cette planète, mon grand-père attendit que j’ai neuf ans
pour être emporté par la faucheuse. Cette visite n’a rien d’un rituel,
c’est juste que nonobstant ma si peu reconnue ferveur tant pour les
cimetières que les traditions mortuaires j’aime aller les voir,
j’apprécie franchement l’idée que leur petit-fils passe leur dire
bonjour et les sorte un instant furtif de la longue nuit de leur repos
éternel. Comme à chaque fois, j’ai pris mon récipient rempli d’eau pour
arroser les très éprouvées fleurs. J’ai passé un peu d’eau sur la
pierre tombale, ça ne sert à rien mais ça me donne l’idée que je
m’occupe d’eux.
Et puis, je suis allé rendre visite à leurs voisins
et voisines qui comme eux sont installés ici pour une éternité toute
relative, celle de la durée des concessions tant que celles-ci sont
renouvelées : quand on y pense, c’est impressionnant de se dire qu’on
va loger là ses proches mais que le perpétuel repos ne leur est promis
tant que les vivants ne seront pas suffisamment ingrats pour rechigner
à s’acquitter d’une dîme paraît-il nécessaire … C’est une autre
histoire.
Ici et là, j’ai donc salué celles et
ceux qui avaient écrasé sur mes joues rouges d’enfant intrépide des
bises amicales et chaleureuses. Elle, je m’en souviens parce que c’est
elle qui m’avait donné mon lapin, Arthur. Lui, c’est celui que
j’appelais abusivement « Pépé » parce qu’il était italien et qu'il
avait survécu à mon grand père [son meilleur ami] … toute une
vie cet homme dont la gentillesse était incommensurable. Au gré de mes
pas, des noms qui résonnent, des noms qui me rappellent des
conversations passées et révolues … et pourtant, les fantômes des
souvenirs passés ressurgissent… c’est étrange mais c’est toujours
pareil !
Et puis, j’arrive à la sépulture devant laquelle j’écrase
toujours une larme. Allez savoir … la force des sentiments attachés à
ceux qui reposent là … la violence insurmontable de l’amour que je leur
vouais … j’suis comme ça.
C’est en sortant du cimetière que je me
suis décidé à écrire ces lignes. C’est au sortir de tout ça que je me
suis dit qu’il fallait que je t’explique pourquoi je suis tant attaché
à ce village, pourquoi le fait d’y séjourner me remplit de joie,
pourquoi m’attarder dans les ruelles d’Ensigné me régénère.
J’aurai
pu rentrer tout de suite … et bien non. A l’instar de ce qu’il m’arrive
de faire lorsque je profite de mes balades vélocipédiques pour faire le
tour de ce village dont je connais presque chaque pierre, j’ai décidé
d’en faire le tour à pied, d’arpenter ces ruelles si connues que jouer
à colin-maillard avec moi ici serait du suicide, de sentir l’atmosphère
de ce village au moment où le jour va se retirer, en ce dimanche soir …
à ce moment où le silence se fait, où les hommes se reposent de cette
belle journée, où les femmes sont entrain de mitonner le repas du
dimanche soir, où les enfants et les animaux profitent des derniers
rayons du soleil.
C’est ce moment précis que je veux te faire
partager … cette lumière si belle et si poignante qui s’écrase sur ces
maisons si traditionnelles quant elles ne sont pas en ruine, ces odeurs
de champs et de campagne auxquelles se mêlent celles de ces pommes de
terre qui rissolent dans une poêle qui n’attache pas, ces silhouettes
inconnues qui me scrutent derrière les volets en se demandant si ce
n’est pas moi .. le petit rouquin parisien qu’on voyait jadis faire la
course dans les rues, ces jardins dans lesquels je me souviens être
allé ici enterrer un chat, ce vieux café aujourd’hui désaffecté où
j’entends encore les acrtes claquer sur les tables au rythme
impitoyable de la belote, cette maison de l’assureur qui est mort d’une
crise cardiaque en regardant la coupe du monde de foot en 88, ces cours
de ferme où j’allais avec mon pot-au-lait chercher la substantifique
liqueur lactée qui sortait devant mes yeux ébahis des pis de la vache,
cette ruine de maison où l’on raconte que le père de famille abusait
régulièrement de ses filles …
Ce maelström de souvenirs, de saveurs,
d’odeurs, de lumières … c’est ça mon bonheur invariablement le même à
chaque fois. C’est ça qui me rapproche du petit garçon insouciant et
espiègle que j’étais. Ne te méprends pas, je ne suis pas en quête d’une
nostalgie inavouée aux desseins insondables. Je touche juste ce que
certains appellent leurs racines.
Que je ne sois pas né à Ensigné n’a
finalement que peu d’importance. Que je n’y passe au plus que six
semaines par an est négligeable. Sans exagération aucune, j’ai des
racines sur ces terres, dans ces rues où l’on peut encore entendre
certains de mes dérapages sur le bitume pour autant que l’on y prête
attention … Dans ces rues, j’ai fait des bêtises, j’ai repoussé mes
limites, je me suis senti grandir, j’ai joué, j’ai gagné, j’ai perdu,
j’ai pleuré, j’ai attrapé des coups de soleil. Dans les champs et les
chemins alentours, j’ai éprouvé les émois d’un adolescent, je me suis
parlé longuement pour éteindre des colères, j’ai trouvé du sens à
certaines voies, j’ai appris à me connaître, j’ai sué, j’ai bâti les
courses au trésor les plus palpitantes.
Sans tout cela, je ne serai jamais devenu celui que tu lis.
C’est
ça que l’on appelle des racines et ce sont ces racines fondamentales
qu’il m’est nécessaire de retrouver régulièrement … le plus possible …
non pour me complaire de l’aspect sucré et confortable de cette ouate
si personnelle … juste pour me souvenir, me rassurer et m’émouvoir.
Alors ami lecteur … non, je ne m’ennuie
pas dans ce village de moins de trois cents âmes au fin fond du
Poitou-Charentes où le hype et le clinquant snob de la futilité
d’autres destinations est une plaie que je veux continuer à éviter.
Je
ne peux pas m’ennuyer, je ne peux que me rasséréner des délices que je
viens d’évoquer auxquels tu dois ajouter la bonne cuisine, la
tranquillité, le sommeil, le bon-vivre … ça n’a pas de prix ! Que tout
cela loge dans ce petit village qui est le catafalque de certains de
mes souvenirs passés, je m’en fous … cela ne fait qu’en renforcer le
caractère éminemment précieux confirmant toutes mes promesses passées.
Et encore, je ne t’ai pas parlé de tout … le mieux serait de venir y passer un moment avec moi pour que je t’explique … un soir sous l’arbre du jardin, un verre frais de pineau charentais rouge à la main, bercé par la fraîcheur relative de la nuit qui est tombée depuis longtemps … c’est là que les langues se délient et que l’on arrive à l’authentique.
Tto, le 16 septembre 2007 à 20h45